LES STATUES DE LA FACE OUEST DU TRANSEPT ET DE LA TOUR SUD DE LA CATHEDRALE SAINT-JULIEN
Texte : Joseph Guilleux — Photos : Jean-Pierre Cian
Les travaux de restauration, portant sur les grandes verrières occidentales du transept et de la tour sud de la cathédrale, ont fourni l’occasion de s’intéresser à la remise en valeur de deux statues, et par là de toutes celles remplissant les niches de cette face.
Le transept et la tour sud de la cathédrale ne sont que l’exhaussement de l’ancien croisillon et de la reconstruction de la tour du XIIè siècle. Ce croisillon méridional du XIVè siècle, en cours d’exécution dans les décennies 1370-1380, se divise en deux travées voûtées, indiquées à l’extérieur par de solides contreforts ornés de niches avec statues.
La tour reconstruite à la suite du croisillon, œuvre du Maître Jean Le Maçon, se terminait vers 1396. Elle est flanquée de contreforts qui s’élancent sans retraits, et qui se trouvent coupés par des cordons saillants et décorés. Ils sont aussi ornés de niches décorées avec statues.
Cette face occidentale du croisillon et de la tour porte sur ses contreforts six niches avec statues, sur les onze établies sur l’ensemble du pourtour, dont un certain nombre se rapportent à la représentation des Glorieux Saints Patrons liés à l’origine de l’Eglise mancelle.
Les vocables successifs de la cathédrale
L’ecclesia Mater, ou l’Eglise Mère, dénommée plus tard cathédrale, est toujours dédiée à un ou plusieurs personnages sanctifiés. Celle du diocèse du Mans, fut l’une des rares à changer de vocable au cours des siècles.
D’abord dédiée à la Vierge Marie associée aux martyrs Milanais Saint Protais et Saint Gervais, l’évêque Aldric y substitua, dans les années 830, le vocable de Saint Julien, premier évêque traditionnel du Maine. Il y fit transférer ses reliques vénérées dans l’ancienne basilique située sur la rive droite de la Sarthe, à l’emplacement de l’actuelle église du Pré.
Les statues de la face ouest du transept et de la tour sud
Six grandes niches garnies de leurs statues, disposées sur trois niveaux, se trouvent sur les contreforts de la face ouest du transept et de la tour sud (photo 1).
Disposées sur trois alignements superposés, ces niches sont occupées par trois statues sur le rang du bas, deux statues sur le rang intermédiaire et d’une seule sur le rang supérieur.
On y distingue de gauche à droite depuis la nef :
Au premier niveau sur le transept, les représentations de Saint-Julien (N°2) et d’une Vierge à l’Enfant (N°5), et sur la tour celle d’un diacre (N°11).
Au second niveau sur le transept, les représentations de Saint-Protais et de Saint-Gervais (N°14 & 18).
Au troisième niveau sur le transept, la représentation de Saint-Paul (N°22).
Les statues du premier niveau
Trois niches avec statues ressortent, à environ 11 mètres du sol, des trois contreforts. Elles se composent d’un socle ou culot saillant sculpté, d’une niche creusée dans le contrefort, encadrée de deux colonnettes surmontées d’un chapiteau à la corbeille décorée, et d’un dais terminal.
On reconnaît dans la première niche la statue de Saint-Julien, représenté sous la forme d’un évêque mitré, au geste de la main droite bénissant. L’eau d’une source jaillissant à ses pieds rappelle le fait miraculeux qui lui permit de pénétrer dans la ville close mancelle, et d’y apporter la bonne parole (photo 2). La finesse du traité des plis du vêtement exprime la qualité de la statue.
Un lion étrangle un dragon en le saisissant au cou. La sculpture de ce culot est d’un grand réalisme, et bien conservée (photo 3).
L’agencement architectural du dais dénote d’une grande qualité, en relation avec l’importance et la hiérarchie du personnage au sein de la primitive Eglise mancelle. Sa partie basse est taillée dans un seul bloc, et se compose d’une voûte d’ogive ouvrant sur la face intérieure. Il est coiffé d’une toiture en forme de flèche à trois pans, aux arêtes parsemées d’une suite de crochets. Un fleuron à trois boutons termine ce dais (photo 4).
Lui fait suite, dans la seconde niche, une vierge à l’enfant de même taille, de l’ordre de 2,20 m de hauteur. La vierge longiligne est un exemple de style, où s’allient la force d’une faible courbe hanchée, et la terminaison à la base de la retombée des plis obliques multiples du manteau (photo 5). Malheureusement, la figure a été très rongée par les intempéries (photo 6). La tête de l’enfant Jésus avait disparue. Lors des travaux de restauration des années 2009 à 2011, elle fut retrouvée coincée derrière la statue, et remise place.
La niche est semblable à la précédente, ne variant que par l’ornementation des corbeilles des petits chapiteaux recevant le voûtement du dais (photo 7), et du traitement sculptural du culot de la niche représentant une scène de lutte entre deux personnages (photo 8). Là aussi la qualité du décor de la niche est consacrée aux glorieux patrons de l’Eglise mancelle.
La troisième niche, placée sur le contrefort d’angle de la tour clocher, marque une différence de hiérarchie, à la fois dans son architecture et dans la qualité de la statuaire.
La niche faiblement creusée dans le contrefort est de taille plus réduite par rapport aux deux premières. Elle est constituée par un culot réduit en hauteur, à l’ornementation végétale simple (photo 9). On y retrouve les deux colonnettes d’encadrement et leurs chapiteaux aux corbeilles ornées de deux lits de boutons floraux, surmontés d’une arcature extérieure en plein cintre enfermant un dessin tréflé.
Le tout est surmonté par un simple encadrement saillant de forme triangulaire, décoré à chacune des deux bases par un animal assis, suivi sur les rampants par trois feuilles en guise de crochets, et sur la pointe par un gros fleuron (photo 10).
Le vestimentaire de la statue se rapporte à celui d’un diacre à la dalmatique aux larges manches ornées de grandes franges. Ce personnage tenant un livre, à la face abîmée, reste difficilement identifiable (photo 11). André Mussat penche, sans certitude, à l’identification avec Saint-Etienne dont il reste, parmi les vitraux du XIIè siècle, cinq scènes du cycle de son martyre dans le collatéral nord de la nef de la cathédrale.
Les statues du second niveau
A 22,50 mètres de hauteur, deux niches, de même architecture, hautes de 2,80 m chacune, avec des statues de même taille, hautes de 2,50 m, pesant 1,2 tonnes, sont disposées sur les contreforts qui encadrent la grande verrière terminale du transept.
Les deux statues se rapportent à des diacres reconnaissables à leur dalmatique et leur manipule. Chacun des personnages montre une tête nimbée, signe de leur béatification.
Le premier se trouve au sein d’une niche dont le culot est orné d’une tête de femme couronnée (est-ce la Vierge ?) encadrée par deux grotesques (photo 12). Au-dessus des colonnettes à chapiteaux, le dais à voûtes d’ogives montre une partie supérieure plate à l’extérieur décoré (photo 13). Le diacre tient dans sa main gauche un livre, et dans sa main droite les restes d’une tige pouvant correspondre à celle de la palme d’un martyre (photo 14). Sa face est abîmée sur la joue droite (photo 15).
Son vis-à -vis occupe une niche quasi identique, dont seul le décor du culot varie en dévoilant la tête d’un homme jeune, encadrée par deux dragons ou griffons (photo 16).
Cette statue très détériorée a subi une restauration quasi complète en 2011. Descendue de sa niche, elle fut confiée à l’atelier du sculpteur Michel Vion qui dut la couper, en ne conservant sous les bras que le premier mètre, de façon à refaire toute sa partie haute. Fidèlement restaurée, elle retrouva son emplacement le 7 juin 2011 (photos 17-18) (voir Maine-Libre du 8 juin).
Ce diacre à la tête nimbée de même facture que le précédent tient de la main gauche une épée, attribut de son martyre par décapitation, et un livre dans la main droite (photo 19).
Il faut y voir la représentation des deux frères jumeaux et martyres Saint-Gervais et Saint-Protais, dont le culte fut mis en honneur par Saint-Ambroise évêque de Milan. Trois panneaux relatent le martyre de ces saints dans une des verrières du XIIè siècle située dans le bas du collatéral nord de la nef, au revers de la façade occidentale de la cathédrale.
Si l’attribution aux martyres Gervais et Protais, anciens patrons de l’église mancelle, ne fait aucun doute, leur situation, au-dessus de Julien et de la Vierge, marque la prééminence des deux derniers nommés. Il est impossible, malgré le titre du Maine-Libre, d’attribuer avec certitude une dénomination certaine de Saint-Protais à cette statue, plutôt que celui de Saint-Gervais.
La statue du troisième niveau
Une seule niche à statue occupe la partie haute du contrefort médian situé entre la première et la seconde travée du transept sud. Conçue comme celles du second niveau, son culot est orné par un jeune personnage agenouillé, la tête appuyée sur le dos de l’animal, un chien qu’il semble vouloir soulever (photo 20). La niche est coiffée d’un dais plat (photo 21).
Elle renferme la statue très abîmée de l’apôtre Paul, à la tête nimbée, représenté chevelu et barbu (photos 22-23). Il tient dans sa main droite l’épée outil de sa décapitation, dont il ne reste que le pommeau et la poignée, et dans l’autre main un livre, probablement celui des Evangiles (photo 24). Saint-Paul montre le même caractère longitudinal et hanché que celui de la Vierge à l’Enfant, mais avec une expression de la tête beaucoup plus marquée malgré son usure.
Conclusion
Ces six statues ne forment pas un ensemble iconographique stylistiquement uniforme. Elles paraissent être l’œuvre de deux ateliers très différents. La qualité de la sculpture est totalement différente ente le groupe plus vivant formé par Saint-Julien, la Vierge à l’Enfant, Saint-Paul et celui plus rigide des trois diacres. Elles ont pour unité de rappeler les Patrons de l’origine de l’Eglise mancelle, en marquant une hiérarchie par l’emplacement et par le dessin des dais. La Vierge à l’enfant et Saint-Julien affirment leur prééminence.
Sources :
A.Ledru, La cathédrale du Mans, construction du croisillon méridional, P.M., 1921, p.40.
André Mussat : La cathédrale du Mans, édit. Berger-Levrault, 1981.