Les villes d’art sont–elles menacées ?

1 octobre 1980
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Le XVIè Congrès de l’association nationale pour la protection des villes d’art et conservation du patrimoine français a lieu cette année à Vitré.

Parmi les questions posées à ce Congrès, il en est une qui nous préoccupe : comment envisager l’aménagement de quartiers neufs à l’intérieur et à proximité des villes anciennes, comment envisager cette architecture ?

Nous connaissons de récentes réalisations : le quartier renommé de la balance dans le vieux quartier et aux abords du palais des Papes à Avignon. Un côté de la rue a conservé son architecture classique, l’autre côté étant de conception contemporaine, heureusement de même hauteur et réalisé en pierre du pays. A Paris, l’aménagement du quartier Beaubourg avec sur le côté, les immeubles du XVIIIè siècle, au fond de la place des immeubles de rapport d’une dizaine d’étages, l’ensemble dominé par le gigantesque musée de fer et de métal du centre Pompidou. Plus proche de nous, à Saumur, l’ensemble d’immeubles H.L.M. qui s’étagent dans le vieux quartier au pied du château. Doit–on, aujourd’hui, faire abstraction de ce qui existe et implanter froidement une architecture dite du XXè siècle.

Le 20 octobre 1977, le Président de la République, s’adressant aux architectes de l’académie d’architecture, précisait : « jusqu’au XVIIIè siècle, la continuité des traditions permet, dans une relative stabilité, la croissance progressive de nos villes et de nos villages. L’enchaînement des architectures évite les cassures violentes et soudaines. La diversité des architectures, la vigueur de l’artisanat du bâtiment contribuent à donner à nos cités, fière allure même si elles cachent souvent misères et inégalités ».

Serions–nous plus pauvres, aurions–nous moins d’imagination qu’à ces époques révolues. Sommes–nous capables de réaliser des ensembles dont le volume, l’esthétique, s’harmonisent en continuité avec ce que nos prédécesseurs ont réalisé.

Il semble que nous sommes plus préoccupés aujourd’hui, et nous le constations au Mans, par les problèmes concernant la circulation, par les voies rapides qui découpent en morceaux les quartiers d’habitation existants, alors qu’il serait souhaitable au contraire, de restructurer ceux–ci, de développer les voies piétonnes et de faciliter ainsi la vie urbaine en faisant revivre le Vieux–Mans.

Mais on a vu successivement, pour faciliter la circulation des voitures, disparaître tout un côté des rues de la Porte Sainte–Anne, Saint–Hilaire et des Filles–Dieu.

Ce problème d’urbanisme ne semble pas lié au problème de construction, car il faut bien construire sur les espaces libérés.

Les techniques nouvelles employées, les éléments industrialisés, utilisés aujourd’hui pour les immeubles économiques, ne nuiront–ils pas à l’esthétique indispensable dans cette partie de la ville. Vous me direz, on a reconstruit à toute époque et nous retrouvons de ces quartiers disparus, des vestiges qui passionnent nos archéologues. L’histoire de nos villes repose sur leurs vieux quartiers, c’est tout cet attrait dont il faut trouver le secret.

Le Vieux–Mans est caractérisé par ses habitations à pan de bois, ses hôtels en pierres ouvragés, ses hautes toitures surmontées de lucarnes, l’attrait de ses rues étroites et tortueuses où vivait toute une population.

Mais l’industrie automobile, l’industrie du bâtiment, ont transformé notre manière de vivre. Les grands axes, les larges voies en bordure desquelles s’élèvent des immeubles hauts, expriment la conception d’un nouveau quartier au XXè siècle. Architecture rigide, bâtiment sans toiture, sècheresse des lignes, plus de hautes fenêtres, plus de balcons, sont le résultat d’une politique du logement à prix économique.

Aux époques heureuses où l’art est en plein essor, la tradition se transmet de maître à élève. C’est l’époque du compagnonage, du travail bien fait où l’on trouve tant de diversité et d’imagination. La grande recherche de la Renaissance a été de retrouver le secret antique de l’harmonie, cette harmonie que nous retrouvons dans les hôtels particuliers du Vieux–Mans.

Ajourd’hui, les normes et règlements imposés n’apportent rien au concepteur, on voit bien les erreurs qui découlent de ce système. On abandonne heureusement les modèles qui défigurent nos villes. Cette préfabrication imposée ne peut que paralyser l’imagination, et elle est surtout orientée vers un souci d’économie.

Le choix des matériaux utilisés dans nos villes est important : nous constatons qu’une façade réalisée avec des matériaux pauvres, dépouillée de tous éléments tels corniches, balcons, lucarnes ne peut s’insérer dans la cité. On ne remplace pas la pierre, ni l’ardoise qui dans notre région proche de la Touraine, donne tout le charme de nos habitations. Sans faire du pastiche, notre architecture doit retrouver la richesse qu’elle a perdue. L’architecture française est un art d’humilité tel que le comprenaient nos ancêtres, un art d’insertion et non de provocation, de continuité et de mesure.

Il s’agit de retrouver cet équilibre, d’Å“uvrer dans ce sens. Il ne manque pas de talents qui, libérés de contraintes, attendent de faire leur preuve.

Souhaitons que les projets de réalisations prévus pour l’aménagement de quartiers anciens dans le centre des villes, tiennent compte de la qualité architecturale qui fait tant défaut dans notre ville du Mans.

Jean GUY,

Architecte D.P.L.G.

Président de la Renaissance du Vieux–Mans.

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