Le Vieux-Mans : sa place dans la cité, son devenir

1 juin 1980
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Le Vieux–Mans, noyau historique de la ville connaît depuis quelques années un renouveau d’intérêt de la part de la population mancelle. Sa réputation de quartier malfammé tend peu à peu à s’effacer. Malgré tout, c’est avec étonnement qu’un grand nombre de Manceaux ou d’étrangers à la ville le découvrent.

Dès la fin du XVIIè siècle, les élites mancelles commencèrent à déserter ce quartier, jugé insalubre. Elles recherchèrent des espaces plus aérés, moins resserés, pour construire leurs riches hôtels particuliers. L’espace ne manquait pas dans les faubourgs de Saint-Nicolas ou de la Couture et le mouvement de construction ne fit que de se développer dans ces paroisses durant tout le XVIIIè siècle au détriment de la vieille ville. Le même phénomène profita à la commune de Sainte-Croix avant son rattachement au Mans en 1855. Le Vieux–Mans devint avec son parc de vieux immeubles, dès la seconde moitié du XIXè siècle le quartier des petites gens. Plusieurs transformations de ce siècle commencèrent par le grignoter. Dans les années 1860, ce fut la destruction des bas quartiers de Gourdaine de Saint Hilaire et du bas Saint Benoît, de façon à aménager le quai rive gauche de la Sarthe. Il ne subsista de ces quartiers que les rues de Gourdaine et de la Porte Sainte Anne. Après la guerre de 1870, l’ouverture du tunnel coupa en deux la vieille ville, rompant l’unité de la grande rue. La paupérisation du quartier ne fit que s’accentuer jusqu’au début des années 1950.

Que voyons nous depuis les dix dernières années ? Un nouveau rétrécissement de l’ensemble de la vieille cité. Le projet de pénétrante d’autoroute urbaine a conduit à la destruction quasi totale du bas quartier le long de la Sarthe. La rénovation de la rue Dorée a amputé cette rue de la plus grande partie de ses constructions anciennes. Les projets de liaison Jacobins–Eperon, s’ils sont réalisés, conduiront à la destruction des immeubles bordant la rue des Filles–Dieu ! Nous assistons à un véritable isolement du Vieux–Mans, bientôt encadré par un tissu de grandes artères. Il n’en sera conservé que la partie enserrée dans l’enceinte gallo–romaine. Il suffit de regarder un plan de la ville médiévale pour constater qu’on a rayé ou que l’on veut en rayer plus de la moitié de sa superficie. Fait beaucoup plus grave, tous les projets actuels de rénovation urbaine suppriment les quartiers d’accompagnements qui le reliaient au restant de la ville.

Tout le drame du Vieux–Mans provient du fait qu’il ne se fond pas avec le centre commercial traditionnel de la ville. Ce fait important se manifeste dès le XVIIIè siècle durant lequel le centre des affaires se concentre autour de la place des Halles (place de la République aujourd’hui). Le quartier fut donc très vite délaissé par les propriétaires qui se soucièrent peu d’entretenir un patrimoine jugé de peu de rapport. N’y eut–il pas au début des années 1950 un projet de destruction de ce quartier. La ville, les H.L.M. rachetèrent un grand nombre d’immeubles pour les détruire et les remplacer par des constructions nouvelles. Nombre de maisons furent évacuées et leur population déplacée aux Bruyères. Heureusement les projets ne furent pas suivis de réalisation et il fallut attendre la fin des années 1960 pour voir surgir l’idée d’une restauration. Ce fut le privé qui la lança et qui réussit à reprendre aux collectivités un certain nombre d’immeubles. Car si le promeneur découvre aujourd’hui la transformation de subie, il ne peut se figurer les graves problèmes qui se posent à ce quartier.

Si un grand nombre d’immeubles ont été sauvés par l’action du secteur privé, c’est tout le contexte socio–économique qui s’en est trouvé bouleversé. La rénovation s’accompagna du transfert inévitable des anciens habitants dans divers autres quartiers. Ce ne fut pas sans drame pour certains. Le fait de se retrouver déraciné dans un P.S.R. ou un H.L.M., très éloigné géographiquement du Vieux–Mans détruisit maintes habitudes, relations humaines. Loin de condamner la restauration, celle–ci entraîne inévitablement avec elle une transformation fondamentale de la population. Le quartier se transforme donc radicalement. Dans un premier temps il se vide, puis au fur et à mesure des restaurations se repeuple mais dans une proportion moindre. Car un propriétaire qui investit des capitaux ne peut se permettre de le faire à fond perdu. S’il ne destine pas l’immeuble pour en faire sa propre résidence, il est tenté d’en faire un placement rentable. Nous assistons à nombre de restaurations dont le résultat a abouti à un fractionnement à l’excès en appartements de type F1 ou F2. C’est là un véritable danger pour la vie de ce quartier. Du fait de l’exiguité des logements ainsi rénovés, n’y viennent que des célibataires ou de tout jeunes couples qui les quitteront dès la naissance d’un premier enfant. C’est une population très mobile qui s’y installe, peu résidente et la vie du quartier en dépérit. Ces nouveaux locataires n’y sont que le soir. Le plus souvent on ne les voit pas dans la journée. On mange le midi au restaurant d’entreprise et on ne participe que de très loin à la vie économique du quartier. En quelques années, plusieurs petits commerces de l’alimentation ont disparu dans le quartier. Inévitablement la restauration du parc immobilier conduit à la réduction de la population. Chacun aspire à plus d’espace et soit qu’une famille entière occupe à elle seule l’espace jadis occupé par plusieurs familles, soit que chaque niveau d’un immeuble est aménagé en un petit appartement.

La façon de remédier à cet état de fait est à mon avis, la nécessité de la reprise en main par les pouvoirs publics de la restauration de façon à équilibrer la part du privé et du public. L’exemple en avait été donné par les H.L.M. dans l’après–guerre, par la construction sur les remparts et dans la Grande–Rue de collectifs aux logements conçus pour des familles. Certes si ces constructions sont parfois criticables sur certains points architecturaux en ce qui concerne des détails, leur réussite sociale est évidente. Le peu de mobilité des résidents en est la meilleure preuve. Seule la mise sur le marché de logements assez vastes (F4 ou F5) permettront de repeupler ce quartier dans des conditions décentes. C’est là que les pouvoirs publics peuvent et se doivent d’intervenir. Le prix d’une restauration est en lui même trop élevé pour un office public H.L.M. L’octroi de subventions publiques devraient lui permettre de le réaliser. Cela ne pourrait-il pas entrer chaque année dans le budget social de la ville ? En prenant à sa charge la différence entre le prix plancher de construction attribué aux H.L.M. et le coût réel de la restauration beaucoup plus élevé, la collectivité participerait à la réanimation humaine de ce quartier. En ne laissant agir que le seul secteur privé, il est certain que le Vieux–Mans deviendra vite un quartier mort, de type résidentiel, sans aucune animation réelle. La première animation d’un quartier ne passe–t–elle pas en premier lieu par la vitalité de sa population.

Ne nous trompons pas sur l’importance de la vitalité amenée par des facteurs extérieurs au secteur. La part réservée au tourisme est un leure. Le Vieux–Mans est méconnu et risque de le rester longtemps encore. Le détournement des villes, d’ailleurs indispensable, soit par des rocades ou la future autoroute ne feront qu’accentuer l’isolement touristique manceau. De part sa position géographique trop près de la capitale, Le Mans ne peut que difficilement jouer le rôle de ville-étape sur la route de Bretagne. La création des moyens de communications rapides la feront rester à l’écart du grand passage. Pour y remédier c’est toute une politique de promotion touristique qui s’avère nécessaire. Seuls les pouvoirs publics ont les moyens financiers de la faire efficacement. Le déplacement du Syndicat d’Initiative place des Jacobins ne pourrait-il pas être envisagé dans des temps futurs ? C’est la seule place d’accueil aisé pour le tourisme traversant la ville. La cathédrale accroche tout de suite l’œil. Que dire de la propagande quasi inexistante. Depuis plusieurs années existe une très belle affiche de la cathédrale. On ne la voit nulle part. Passez dans n’importe quelle grande gare française et vous y verrez depuis des décennies les affiches des cathédrales de Reims, Chartres, Paris. A–t–on exploité de façon efficace le rassemblement de la presse mondiale sportive lors des 24 Heures ? Sa prise en main ne serait–ce que quelques heures, serait profitable à l’ensemble de la ville. Des associations privées ne possèdent pas les moyens financiers de cette prise en charge. En délaissant ce côté, la cité se prive d’une publicité aisée.

L’avenir du Vieux–Mans ne peut se concevoir qu’au sein d’une politique globale de la ville. Elle peut devenir le centre des activités culturelles de la ville. Lors du transfert des services de la municipalité dans les futurs locaux prévus, tout un ensemble de bâtiments publics se trouveront libres. La Mairie actuelle se prêtera après aménagement en la réalisation d’un vaste centre culturel ? Des salles de conférences, d’expositions y seraient à leur place, et doteraient enfin la ville de locaux qui actuellement cruellement défaut. Nous ne pouvons qu’approuver l’installation de la Maison des Jeunes dans les bâtiments de l’ancien orphelinat de la Grande–Rue. Certains grands hôtels particuliers, vides actuellement et en vente sont des centres potentiels d’animation culturelle. Seule la collectivité publique est un moyen des les acquérir et de les faire vivre. À côté de ce pôle culturel, une activité artisanale peut y trouver sa place. Mais entendons nous bien sur le genre de ces activités. Soyons réaliste. Jamais nous ne pourrons attirer au Mans des artisans de pure création. Le manque de débouché sur la place du Mans est trop manifeste. C’est du côté de l’artisanat pratique, nécessaire à la vie quotidienne qu’il faut se tourner : le monde des petits métiers, recherchés pour leurs services. Un relieur, doreur, ébeniste, encadreur, chaisier, décorateur peut trouver sa place à côté des antiquaires, restaurateurs, et formeraient un ensemble vivant.

Car l’avenir scindera le Vieux–Mans en deux parties bien distinctes. Le quartier haut dont les pôles d’attraction se grouperont depuis la cathédrale, en passant par la Grande–Rue jusqu’à la place Saint–Pierre. C’est la partie qui restera touristique, artisanale et culturelle. Par contre le quartier bas comprenant le haut de la rue Dorée, les rues de la Vieille–Porte et des Trois–Sonnettes et des Poules est appelé à jouer un rôle commercial beaucoup plus traditionnel. Sa proximité du centre commercial urbain traditionnel, joint au doublement de la rue Gambetta par la rénovation de la rue Dorée en feront un lieu de passage fréquenté. Un commerce plus courant y aura sa place et y trouvera toutes les chances de s’y développer. D’ailleurs les investissements privés actuels montrent que certains l’ont déjà compris.

Le Vieux–Mans ne doit surtout pas tomber dans l’écueil du quartier bourgeois. A l’écart du centre urbain, mis à part le quartier Saint–Benoît, c’est toute une vie normale qui doit s’y réimplanter. Jamais il ne retrouvera le taux de population qu’il a connu du fait de la restauration de son parc immobilier. Malgré tout une possibilité de réanimation s’offre aux pouvoirs publics. Eux seuls ont la possibilité matérielle de la lancer en offrant des logements à la portée de la petite classe moyenne. Rien ne serait plus triste que de voir ce quartier se transformer en une zone résidentielle totalement morte.

J. GUILLEUX,

Vice–président de l’Association

pour la mise en valeur du Vieux–Mans.

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