Le 9 janvier 2003, jour anniversaire de ses 96 ans, Jeanne Ménard nous quittait.
Née au 3 rue du Petit Saint-Pierre, elle était sans doute, une des dernières, sinon la dernière authentique habitante de ce quartier. Son père, Marcel, né lui aussi au 3, était le fils d’Alphonse Ménard, conseiller municipal de 1896 à 1912 et acquéreur de l’Hôtel de Courcival en 1877, à la suite de son beau-père, Napoléon Justin Pucelle.
Jeanne Ménard a grandi là avec sa sœur Marcelle, son aînée de 4 ans, qui demeurera aussi au Petit Saint-Pierre et y décédera en 1995.
Pensionnaire à Château du Loir, puis à l’Ecole Normale du Mans, elle sera institutrice de campagne, puis à Avessé, petite commune de la Sarthe, près de Brûlon, où elle passera 17 ans avec son mari. Elle reviendra en 1946 au Mans comme directrice de l’Ecole Coindon, l’école de la Grande Rue. Pendant 11 ans elle aura à cœur de s’occuper de « son » école et des filles des deux classes pour lesquelles elle aura toutes les audaces, l’énergie, l’inventivité pour faire de l’école, non seulement un lieu d’apprentissage des bases de l’instruction publique gratuite et obligatoire, mais aussi un lieu de partage, d’écoute, d’apprentissage de la tolérance et du respect d’autrui sans distinction de race ou de religion: l’école laïque.
A l’époque, le Vieux-Mans est un quartier que l’on qualifierait de nos jours de « défavorisé ». Les gens étaient très modestes, voire pauvres, mais combien vaillants et généreux. Ils avaient leur fierté. Bien des années plus tard, combien de fois Jeanne Ménard a-t-elle pris le téléphone quand un article sur le Vieux-Mans traitait ce quartier de repère de canailles et de racaille. Ces propos, parce que faux et injustes, l’irritaient profondément. Alors elle racontait le Vieux-Mans, le vrai, celui où elle avait vécu, travaillé, celui qu’elle aimait et qui le lui avait bien rendu.
Ce quartier était comme un village. Chacun connaissait son voisin, était capable de l’aider en cas de besoin. La solidarité existait. N’oublions pas que Jeanne Ménard fit installer des douches à l’école Coindon, luxe rare dans le quartier, qu’utilisaient non seulement les élèves mais aussi leurs parents, s’ils le souhaitaient. Et c’est bien cela qu’elle défendait : l’esprit du Vieux-Mans d’alors.
Longtemps aussi elle animera La Gouline Sarthoise, son autre passion. Créée en 1950 avec son mari et des collègues aussi enthousiastes et dynamiques les uns que les autres, La Gouline promènera pendant des décennies l’image d’un folklore sarthois vivant, en France comme à l’étranger, sous la férule bienveillante de sa présidente. A partir de 1963 elle prendra une part active aux échanges Maine-Basse Saxe auxquels elle apportera sa foi inébranlable pour un monde meilleur avec des hommes et des femmes de bonne volonté et avec lesquels elle tissera des liens d’amitié forts.
Pendant longtemps encore, on verra Jeanne Ménard dans les rues de son Vieux-Mans, curieuse des événements de sa ville et y participant la plupart du temps, attentive à chacun, invitant à déjeuner les uns et les autres chez Les Compagnons ou au Pantagruel où elle avait ses habitudes. Pour ses 90 ans, sa famille, ses amis et ses anciennes élèves se réuniront pour une grande fête chez Les Compagnons, dont elle gardera un souvenir émerveillé. Avec le temps, les amis s’en iront et les relations se feront plus rares, ce qu’elle constatera avec un brin de tristesse, elle qui jusqu’à son dernier souffle aura le souci des autres. Entourée de ses très proches, elle terminera sa vie, dans sa maison, précisément ce jour de janvier, comme pour fermer la boucle de sa vie accomplie.