Au Mans, la chapelle des Oratoriens (Lycée Montesquieu) menace ruine dans l’indifférence quasi générale
Voici bientôt quatre ans que dans les colonnes de l’« Echotier» je m’élevais contre la Grande Misère des salles de Musique au Mans, et rappelais l’existence de la Crypte Saint–Pierre La Cour, ainsi que de la Chapelle du Lycée, deux édifices prestigieux susceptibles de pallier la carence en salles petites et moyennes en notre ville.
Depuis lors, après quatre années d’efforts de toutes parts, d’insistance répétée par tous ceux qui se sont attachés à sauver ce monument et il faut le dire à un effort financier très important de la seule ville du MANS, la Crypte de la Collégiale de Saint–Pierre la Cour a été restaurée et ouverte à de nouveaux usages. Tous ceux qui l’ont visitée et ont assisté au concert inaugural du 12 janvier dernier, ont été enthousiasmés par sa beauté, certainement séduits par ses qualités acoustiques, et tous de dire : « Comment a–t–on pu négliger pendant plus de quarante ans un tel endroit ? ».
Toute proche de la Cathédrale et de la Place des Jacobins, quelque peu masquée par les grands arbres de la cour du lycée (ancien collège de l’Oratoire de 1624 à 1791) la CHAPELLE DES ORATORIENS risque fort de ne pas connaître cet heureux sort.
Construite par l’Évêque du Mans pour les élèves de l’Oratoire et consacrée le 25 mars 1683, cette vaste chapelle aux dimensions d’église, un peu dans le style de l’église du Prytanée de La Flèche ou de Saint–Louis des Invalides, offre de belles proportions, un volume aéré, avec une décoration à base de formes arrondies telles qu’on les goûtait en cette fin du XVIIè siècle éprise de néo–classicisme.
Elle est éclairée par quatorze grandes fenêtres en plein cintre et recouverte par une voûte de lambris en berceau imitant la pierre qui prend au–dessus du carré du transept, la forme d’une coupole bandée de quatre nervures plates. À la naissance des voûtes, se déroule une belle frise sculptée supportée par des pilastres à chapiteaux corinthiens. Le maître-autel en marbre noir est couronné d’un baldaquin en chêne d’une richesse extraordinaire que portent six colonnes torses, également en marbre noir. Il est vraisemblable que ces colonnes torses de la seconde moitié du XVIIè siècle, très caractéristiques de l’époque, sont sorties de l’atelier des Hanucher, les célèbres marbriers de Sablé, appelés à Versailles pour la marbrerie du château.
La Chapelle des Oratoriens est la seule église du XVIIè siècle au MANS, unique témoin de l’art religieux de cette époque (l’église de la Visitation ne date que de 1737). Elle ne peut que faire regretter la destruction de l’église des Ursulines, remarquable monument disparu au siècle dernier, parmi tant d’autres, comme la Chapelle de l’ancien évêché du XVIè siècle, l’abbatiale Saint–Vincent du XIIè siècle comparable à la Couture. Notre siècle sera–t–il aussi aveugle ?
Outre une flèche qui existait à l’origine à la croisée de la nef et du transept (ainsi que l’atteste un tableau du Musée du Mans), la Chapelle des Oratoriens était également dotée d’un curieux clocheton à double coupoles superposées qui existait encore voici une soixantaine d’années; celui–ci a disparu depuis lors sans doute déjà victime de l’indifférence ou de la courte vue de nos contemporains.
Cette Chapelle possède un excellent orgue dont le positif est du début du XVIIIè siècle et le grand orgue du XIXè siècle. Celui–ci, après bien des tribulations a été entièrement restauré en 1952 et Pierre COCHEREAU à la même époque y donna plusieurs concerts lorsqu’il dirigeait le Conservatoire du Mans. Jean–Patrice BROSSE notre jeune concitoyen remarquable organiste et claveciniste, directeur artistique du Festival du Comminges, à l’aube d’une grande carrière de concertiste, en a été le titulaire pendant ses dernières années d’étude au Mans. Tous, se plaisaient à reconnaître que l’instrument sonne admirablement dans la chapelle.
Eh bien ! Tout cela est menacé de ruine !
Quasiment abandonnée depuis plusieurs années, la Chapelle des Oratoriens prend eau de toutes parts. Sa charpente est atteinte, sa voûte en plusieurs endroits manque de s’effondrer; lors des tempêtes de décembre 1979 de nouveaux trous sont apparus dans la couverture d’ardoises et la pluie s’écoule à proximité de l’orgue !…
Cet abandon est insupportable, inadmissible, en cette année du patrimoine.
Puisque le culte n’y est plus célébré, elle doit être restaurée et affectée à un usage culturel pour la plus grande utilité de tous les Manceaux. Elle conviendrait parfaitement aux concerts d’orgue et de Musique classique ainsi qu’aux expositions d’art. Sa disposition permet sans difficulté l’installation d’un orchestre et de chœurs; ses cinq à six cents places seraient idéales pour la majorité des concerts de plus en plus nombreux offerts aux mélomanes de notre cité. Quant à son acoustique il est certain qu’elle demeurera incomparable avec les meilleures installations du futur « Palais des Congrès » aussi soignées soient-elles.
Il faut que tous : la ville du Mans propriétaire du bâtiment, le département de la Sarthe bénéficiaire certain de toute animation prenant sa source au Mans, l’Etat qui a la responsabilité de soutenir l’action culturelle des régions par la répartition des ressources nationales qu’il centralise, apportent leurs concours à la sauvegarde et la mise en valeur de la Chapelle des Oratoriens.
Ses utilisateurs sauront en faire un centre vivant de culture au profit de tous, qu’ils en soient certains.
Pour son tricentenaire dans moins de trois ans…, la Chapelle des Oratoriens, par l’action intelligente ou l’indifférence coupable des Pouvoirs Publics, sera soit une ruine irrémédiable, soit un exemple.
En mobilisant nos énergies pour réclamer sans relache ce sauvetage, prenons date pour cette échéance, l’avenir est un juge qui répudie les fausses excuses.
Gérard GARNIER.
REF. BIBLIOGRAPHIQUES ET ICONOGRAPHIQUES
A. LEDRU, « Histoire et Description de la Chapelle du lycée du Mans », Paris, 1907.
M. REEB, « Le collège de l’Oratoire au Mans », revue historique et archéologique du Maine 1911, tome 70.
Robert TRIGER, « Etudes sur la ville du Mans », 1927.
VANMACKELBERG, « L’Orgue du lycée », province du Maine, juillet–septembre 1976, L’Echotier n° 3, Printemps 1976, carte postale Renard début XXè siècle, photos intérieures janvier 1980.