Depuis quatre ans, l’Association Pour la Mise en Valeur du Vieux-Mans a tourné ses activités vers la recherche archéologique sur le site du Vieux-Mans et de ses abords. La vieille ville avait été trop négligée et nous ne pouvions que regretter le manque d’informations lors de la construction du tunnel au cours des années 1870 ou plus près de nous le manque de surveillance du sous-sol lors de l’établissement du réseau du tout à l’égout.
Profitant de la réouverture du sol de la voirie lors de la mise en souterrain des différents réseaux de distribution (électricité, téléphone, télévision) ou du remplacement des anciens réseaux du gaz et de l’eau, il nous a été possible d’étudier plusieurs dépôts archéologiques encore en place.
Les restes d’un dépôt de la période augustéenne (tout début de l’ère chrétienne) se sont rencontrés rue du Rempart. Nous avons pu y recueillir un fragment de gobelet de type ACO en provenance, soit des ateliers Lyonnais ou du centre de la Gaule, en compagnie d’un certain nombre de tessons de céramique sigillée aux formes italiques.
Le sous-sol de la place du Hallai s’est révélé d’une étonnante richesse. Le mobilier mis au jour s’étend sur une chronologie allant de la Tène finale jusqu’au XIVe siècle. La bouterolle terminale d’un fourreau de poignard rappelle la période gauloise. La céramique gallo-romaine précoce s’y est trouvée représentée par des dépôts de céramique sigillée en provenance des ateliers rutènes de la Gaufresenque (près de Millau) et d’un tesson d’un vase caréné (Drag 29) des ateliers tibériens de Lezoux. Une agraphe double de bronze correspond à la période mérovingienne.
La proximité du palais comtal peut expliquer la présence de nombreuses céramiques médiévales dont l’échantillonnage s’étend du Xe au XVe siècle. On y trouve des vases à goulot tangenciel, des oules à la lèvre en bandeau, des cruches et des grands vases à provisions. Dans la zone correspondant à l’établissement de la chapelle de l’ancien châpitre royal de Gué le Maulny, chapelle construite sur cette place vers les années 1370 après le sac du château des bords de l’Huisne nous avons retrouvé trois tombes accompagnées du mobilier funéraire datable du XVe siècle.
La place Saint-Pierre fut beaucoup plus pauvre du fait d’un très important remblaiement accumulé au dos de l’enceinte de façon à former une plate-forme. Seul le sol de la nef de l’ancienne collégiale Saint-Pierre La Cour (nef détruite par sa plus grande longueur au siècle dernier) a livré un terrain archéologique. Trois rangs de sépultures superposées se voyaient sur les parois des tranchées. Les vases funéraires de type coquemar, perforés sur la panse de façon à permettre une bonne combustion du charbon de bois qu’ils contenaient, sont des productions typiques des XIVe et XVe siècles.
Ce même rituel funéraire (vases à encens placés près des morts) avait été déjà observé lors de la fouille du sol de l’ancienne église de Saint-Pavin de la Cité détruite pendant la Révolution. Dans le sol de cette église paroissiale du XIe siècle apparut la fondation d’un édifice plus ancien et de plus petite taille, ancêtre de la future paroisse. Sous les tombes mises au jour, des vestiges de murs gallo-romains étaient encore en place. La céramique nous a montré une occupation de ces lieux au bas-Empire durant le IVe siècle et le début du Ve siècle. La production des ateliers argonnais s’y est retrouvée en assez grande quantité et nous prouve que des relations commerciales suivies existaient à cette époque entre nos deux régions.
La principale découverte pour une meilleure connaissance de la cité antique fut la mise au jour, en deux endroits, d’un aqueduc alimentant en eau la colline du Vieux-Mans (Grande rue et rue du Bouquet). L’altitude du niveau de son radier nous prouve qu’il se rattachait à l’aqueduc des Fontenelles et pas à celui d’Isaac.
En différents points, les tranchées ont coupé ou mis au jour l’ancienne conduite dite de Saint-Aldric, refaite au XVIe siècle. Il a été possible d’examiner sa technologie. Elle consiste en une tuyauterie de céramique vernissée, dont les éléments s’emboitent les uns dans les autres, le tout bien enrobé dans un important coulis de mortier rose qui en assure l’étanchéité.
Dans la rue de la Truie qui File, la tranchée fit apparaître les restants d’un important massif de fortification formant angle et un habitat. Ces deux vestiges de construction d’époque médiévale (le mobilier retrouvé le prouvant) barraient l’actuelle rue. Cette observation nous révèle que cette rampe ne s’est trouvée établie que très tardivement au cours du Moyen-Age. Il devait exister à cette extrémité Sud de la cité une Sortie de ville en escalier aboutissant à la ruelle de l’Avocat comme le cadastre nous le laisse encore suggérer. Ce n’est que lors de l’établissement de l’enceinte de Saint-Benoit qu’une rampe accessible au charroi fut aménagée. La porte de la Cigogne ne devait pas exister à l’époque gallo-romaine.
Dans la rue des Poules, une succession d’habitats superposés purent être fouillés à l’automne dernier. Sur deux mètres de profondeur s’étaient stratifiés les restants des premier, second et troisième siècles de riches habitations : trois membres d’une statue de bronze recouverte à la feuille d’or témoignent de cette richesse du site.
L’ensemble de ces observations nous permet déjà de mieux connaître la configuration antique et médiévale de notre vieille ville. Sur les plans humains et des mentalités, il apparaît qu’un très gros effort de romanisation et de construction fut entrepris par l’occupant dès le début du premier siècle. Le vieil oppidum gaulois ne fut pas abandonné mais au contraire habité dès l’époque augustéenne comme nous le prouvent les dépôts de céramique que nous y avons retrouvés. La céramique du second siècle y est moins représentée comme si une urbanisation nouvelle avait étendu la cité vers des espaces plus aérés. La construction de l’enceinte vers la fin du troisième siècle ranime la vieille cité. C’est à l’intérieur de la ville close qu’ont été trouvés les dépôts de céramique en provenance de l’Argonne (seule région qui continue au IVe une commercialisation à grande échelle de sa céramique). Certes il ne nous est pas possible de reconstituer le tracé de la voirie antique ou même médiévale tant elle a du se modifier. Nos observations nous conduisent à penser que l’axe principal actuel de la Grande Rue s’est incurvé par rapport à l’axe principal ancien qui devait suivre l’aqueduc (Grande rue – rue des Chanoines). L’observation du niveau de fondation de l’enceinte rue des Fossés Saint-Pierre (de quatre mètres plus haut que la rue actuelle vers l’escalier des Boucheries) est un fort indice de présomption pour situer la porte principale de la cité aux arcades encore visibles dans l’angle de l’enceinte formé par la collégiale Saint-Pierre la Cour et la rue des Fossés Saint-Pierre. Par le fait que de nombreuses rues actuelles sont barrées dans leur sous-sol par des restes d’habitats gallo-romains ou médiévaux il semble bien que le tracé actuel des rues du Vieux-Mans ne datent que de la reconstruction et de la transformation de la ville après la guerre de Cent-Ans.
Joseph GUILLEUX.
Vice président de l’Association pour la mise en valeur du Vieux-Mans.